L’autochtone dit : «La nature, la forêt, c’est moi. J’appartiens à la forêt et elle m’appartient ; nous sommes indissociables.»

RAPPEL : Ce n’est un secret pour personne, je suis une papivore, une lectrice assidue et une amoureuse du papier. Cette noble matière recyclable vient d’une ressource naturelle, renouvelable: la forêt.

Nous avons beaucoup de chance au Canada: notre forêt recouvre 45% du territoire. Je vous invite à revisiter, une à une, 12 différentes façons d’apprécier cette forêt. La forêt a besoin de nous et nous avons besoin d’elle.

Il était une fois la forêt, ce fut d’abord un beau livre que j’ai écrit pour célébrer les arbres et l’incroyable richesse qu’ils représentent pour les humains et la biodiversité. Pour ce faire, j’ai interviewé 12 conteurs, chacun expert dans son domaine. Laissez-les vous parler de la forêt avec amour et respect, comme si vous aviez la chance de les écouter autour du feu…

Aujourd’hui, laissons Konrad Sioui, alors grand chef de la nation huronne Wendat, nous parler de la forêt, la forêt des autochtones.

 

Une forêt en plein ciel

Un faucon en plein ciel au dessus de la forêt
Les aînés d’ici ne disaient pas «Je m’en vais en forêt», ils disaient «Je m’en vais au ciel».

 

Quand j’étais petit, mon grand-père, Paul Sioui, Théophile Gros-Louis et les autres aînés d’ici ne disaient pas «Je m’en vais en forêt», ils disaient «Je m’en vais au Ciel». Ils nous laissaient imaginer ce que ça pouvait vouloir dire. Du reste, c’est probablement comme ça que chaque citoyen des Premières Nations voit le Ciel. Comme une forêt, comme un lieu de bonheur paisible, d’équilibre, de paix et d’harmonie où tout est à sa place et où l’être humain ne peut pas être autrement qu’en parfaite synergie avec tout et en réflexion sur sa propre condition…

 

C’est là qu’on voit la grande différence entre les êtres humains à pensée circulaire et les êtres humains à pensée linéaire – deux grandes philosophies de vie, deux grands principes, et deux grands adversaires.

 

La pensée circulaire

 

La pensée circulaire, c’est la pensée autochtone, indigène, la pensée naturelle où la moindre chose compte, où tout s’harmonise et où tout vous interpelle. Tout le monde est égal autour du cercle, et tout le monde se tient. Je ne peux, par exemple, partir sans ma grand-mère; elle est importante pour moi et elle fait partie de moi.

 

La nature, la forêt, c’est moi. J’appartiens à la forêt et elle m’appartient; nous sommes indissociables. Je suis nécessairement obligé d’en prendre soin parce que c’est ma mère, c’est elle qui m’a nourri. Tout ce qui est nourricier est une mère. Il en va de même de la terre, et il faut aussi que je la soigne.

 

On me dit superstitieux, car après avoir mangé le castor ou l’orignal que m’a donné la nature, je ne jette pas les os ou le panache. Je vais tout accrocher dans les arbres. Quand on va dans la forêt, on peut d’ailleurs savoir si des Hurons sont passés par là, car ils ont une façon d’accrocher les restes des animaux qui diffère de celle des Innus, des Cris et des autres nations. Quoi qu’il en soit, nous accrochons tous nos ossements. Nous ne jetons rien au feu, car bien qu’il procure une chaleur bienfaisante, l’esprit de l’animal pourrait ainsi s’enfuir. Suspendre ses ossements, c’est au contraire le respecter, et faire en sorte que son esprit puisse revenir, en tout temps. Nous ne voulons pas qu’il s’en aille, parce que nous en avons besoin. Or, si nous avons bien pris soin de l’animal, si nous en avons utilisé toutes les parties sans rien gaspiller, et si nous avons suspendu ses ossements ou sa tête, il va rester autour. Quand nous ou d’autres reviendrons, il y aura encore du gibier.

 

C’est ça, la forêt. C’est notre église. Notre bible, c’est chaque feuille d’arbre. La forêt, c’est la liberté, c’est la paix, et en même temps notre garde-manger, notre frigidaire, là où nous pouvons toujours trouver de quoi nous nourrir et assurer notre survie. Mais tout cela doit se faire dans le plus grand respect, car nous faisons nous-mêmes partie de la forêt et du milieu dans lequel nous vivons. C’est ça, la pensée circulaire.

L'autochotne habite la forêt et circule sur ses rivières.
Le Grand chef Gaspard Picard vers 1920, entre canot, tente, forêt et rivière.

 

La pensée linéaire

À l’opposé, la pensée linéaire est fondamentalement individualiste, violente et agressive: la forêt m’appartient et je vais l’exploiter, je vais la dompter, je vais même la vider s’il le faut pour satisfaire mes besoins. La forêt est à moi et je vais y puiser ce que je veux pour me nourrir et me bâtir un capital à même de servir mes intérêts.

 

La forêt a beaucoup souffert de la pensée linéaire, et elle continue à peiner, car rien n’arrête celui qu’anime cette forme de pensée. S’il décide de partir du point A pour se rendre au point B, il écartera tous ceux qui se dressent sur son chemin, qu’il s’agisse de son père, de sa mère, de son frère, de sa sœur ou de qui que ce soit d’autre. Que dire des animaux, des rivières ou de la forêt, qui n’attendent à ses yeux qu’à être dominés et exploités pour lui permettre d’arriver à ses fins.

 

Cette pensée est venue d’Europe, et elle n’a jamais pu s’enraciner dans le monde des Premières Nations, ni chez les autres peuples de la Terre dont la pensée est circulaire : les Maoris de la Polynésie, les aborigènes d’Australie, les pygmées d’Afrique, les Mayas d’Amérique du Sud… Les penseurs circulaires n’ont jamais été domptés. La pensée circulaire date de plusieurs millénaires, et ce n’est un secret pour personne : nous ne voulons pas devenir des penseurs linéaires. C’est là notre cri de ralliement, et nous croyons que le prochain siècle va nous donner raison.

Protéger ce que l’on aime

 

La forêt, la vie, est tellement fragile. Les penseurs circulaires sont aussi très fragiles, comme les animaux. Une poignée de penseurs linéaires peuvent mâter des milliers de penseurs circulaires. Non pas parce qu’ils sont naïfs, mais bien parce que leur pensée ne permet pas l’agression, la violence, le massacre, la torture ou le meurtre. Et parce qu’ils ne peuvent penser autrement. Selon notre philosophie, les guerres d’adoption ou les joutes sont acceptables. Mais les guerres d’extermination, non.

 

Protéger ceux que l’on aime

 

La nature, la forêt, c’est moi. J’appartiens à la forêt et elle m’appartient ; nous sommes indissociables.
Au magnifique musée de Wendake, une grande fresque raconte l’histoire huronne-wendat. Tout est lié à la forêt.

 

L’humain, faut-il le rappeler, fait partie de la biodiversité.

 

Les Français et d’autres Européens ont amené malgré eux des microbes qui ont dévasté des nations indigènes entières. Chez les Wendat seulement – dénommés Hurons par les Français –, qui comptaient plus de 40 000 individus à l’époque de Champlain, la pandémie a été foudroyante.

 

Les Français aussi ont été malades à leur arrivée. Le grand chef huron-wendat Donnacona disait alors à Jacques Cartier: «Ne continue pas, ne va pas à Hochelaga; dans le grand fleuve, tu vas rester pris.» Mais les Français cherchaient de l’or. Ils n’ont pas écouté, et ils sont restés coincés à Deschambault. Malades, ils ont eu la chance d’être soignés par nos ancêtres, qui leur ont apporté des plantes médicinales de la forêt. Nous connaissions les propriétés de toutes les herbes, de toutes les plantes. Et ce savoir s’est depuis transmis de mère en fille.

 

Ma mère était elle-même une grande medecine woman qui a soigné des gens toute sa vie, et sa mère avant elle aussi. Elle allait partout chercher des herbes qui soignent. La forêt, c’était chez elle, c’était sa maison… La forêt des autochtones.

 

Dans le prochain article sur la forêt, nous aborderons le thème de la forêt qui soigne. Cet article vous fait penser à quelqu’un? N’hésitez pas à lui faire suivre.

 

À très bientôt,

 

Isabelle

 

Vous voudrez peut-être lire :

Découvrez la forêt comme paysage (1 de 12)

Comment le climat sculpte la forêt (2 de 12)

La forêt comme habitat de la diversité (3 de 12)

La forêt des autochtones (4 de 12)
Étiqueté avec :                                

6 thoughts on “La forêt des autochtones (4 de 12)

  • 2021-02-08 à 12:54
    Permalien

    J’adore l’idée de la pensée circulaire et le respect qui s’en dégage. En effet, l’Homme fait parti d’un écosystème et n’est en rien supérieur à la nature.

    Répondre
  • 2021-02-08 à 17:39
    Permalien

    J’adore cet article. Si nous sommes rebelles c’est parce que nous sommes des circulaires contrariés par l’éducation qui nous a mis sur la ligne droite ?? Tout sonne juste. Quand je caresse les feuilles et les troncs d’arbres c’est comme s’ils me parlent. J’entends les feuilles, au vent, je me demande comment je pourrais faire pour les sauver. Merci, ça m’évade de penser à la forêt, entre mes 4 murs de Paris. À bientôt. Elisa

    Répondre
  • 2021-02-08 à 17:48
    Permalien

    Belle image, Elisa 🙂 Merci pour ton commentaire et heureuse de t’avoir permis de sortir quelques minutes de Paris 🙂

    Répondre
  • 2021-02-09 à 04:56
    Permalien

    Quel bel article! Je suis totalement en adéquation avec cette pensée, que nous tentons de mettre en pratique au sein de notre école-forêt. Nous vivons dans une société scindante, qui, à force de tout classer, finit par oublier le caractère circulaire et mouvant de la vie. La nature, et en particulier l’univers forestier, est là pour nous ramener à l’essentiel.

    Répondre
    • 2021-02-09 à 09:09
      Permalien

      Merci, Laura, pour ce joyeux cri du coeur… et pour ton engagement à protéger la forêt. Continuons de sensibiliser les gens autour de nous, jour après jour…

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *