En cette année 2023, nous avions au 31 août déjà perdu 15,2 millions d’hectares de forêt au Canada, date à laquelle 528 incendies se déchaînaient toujours, dont 255 jugés hors de contrôle, jusque dans le Grand Nord. Du jamais vu. L’équivalement de la Grèce et de la Belgique rayés de la carte.

Une maison en construction dont on voit toute la structure en bois
Les structures de bois en habitation, on ne voit pratiquement que cela en Amérique du Nord. Et de plus en plus de bâtiments en hauteur sont maintenant construits en bois.

 

Ce n’est un secret pour personne, je suis une papivore, une lectrice assidue et une amoureuse du papier. Cette noble matière recyclable vient d’une ressource naturelle, renouvelable : la forêt. Nous avons beaucoup de chance au Canada : notre forêt recouvre 45% du territoire. Ces textes, plus que jamais dans notre histoire, nous rappellent que la forêt a besoin de nous et que nous avons besoin d’elle.

Il était une fois la forêt, ce fut d’abord un beau livre que j’ai écrit pour célébrer les arbres et l’incroyable richesse qu’ils représentent pour les humains et la biodiversité. Pour ce faire, j’ai interviewé 12 conteurs, chacun expert dans son domaine. Laissez-les vous parler de la forêt avec amour et respect, comme si vous aviez la chance de les écouter autour du feu…

Aujourd’hui, écoutons Hervé Deschênes nous parler du bois dans la forêt…

 

Le plaisir du bois

 

Qu’est-ce qui, dans la vue et le contact du bois, nous réconforte, nous apaise ? Qu’est-ce qui fait qu’en présence d’une pièce de bois, on ne peut s’empêcher d’y toucher ?

 

Lorsque j’étais enfant, à Saint-Jean-Port-Joli, nous allions faire aiguiser nos couteaux par des sculpteurs. Après des années à fabriquer la même petite bonne femme ou le même petit bonhomme assis devant le foyer, ces gens-là touchaient encore le bois avec un plaisir à chaque fois renouvelé.

 

Et il n’y a pas que le plaisir qui est renouvelable. Le bois aussi ! Dans une forêt qui fait vivre des oiseaux et où habitent chevreuils et orignaux, bien qu’on prélève du bois pour en faire des produits destinés à combler les besoins des gens ou à leur procurer une certaine satisfaction, des animaux peuvent continuer à y vivre.

 

Cet échange entre la forêt, le bois et l’homme est fascinant. Mes grands-parents étaient entrepreneurs forestiers et érabliers. Ils aménageaient la forêt. Pendant la guerre, mon grand-père exploitait de grandes érablières pour produire du sucre, car on n’en trouvait guère ailleurs à cette époque. Les liens entre la forêt, le bois et l’homme ont quelque chose de viscéral.

 

Que peut-on faire avec le bois ? Quelles sensations peut-on créer ? La réponse est qu’on ne saurait imaginer tout ce qu’on peut faire avec le bois, non plus que toutes les sensations qu’on peut créer. Ah, la fascinante utilisation du bois : à la fois pour le nécessaire et par plaisir. Dans un cas comme dans l’autre, on assiste actuellement à un véritable boom aux multiples ramifications. Laissez-moi vous expliquer en quoi la forêt est une source de plusieurs autres ressources.

 

Grand régulateur d’eau

Cascades d'eau vive et claire en forêt
Une cascade d’eau vive et claire en forêt.

Au départ, l’énergie qu’on utilisait pour scier et transformer le bois était celle des chutes d’eau, soit l’énergie hydraulique. Après, on est passé au moteur électrique. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à construire des barrages et à produire de l’électricité destinée aux activités de transformation et à mille autres usages.

 

Cela dit, le lien entre l’eau et la forêt va bien au-delà des considérations énergétiques. La forêt s’impose en effet comme le plus important régulateur d’eau. La forêt est en soi productrice d’eau, et une forêt bien aménagée purifie l’eau tout en l’empêchant de se retrouver directement dans les cours d’eau. Elle recharge la nappe phréatique.

 

Cela met d’ailleurs en lumière un des problèmes qu’on a en zone agricole. Historiquement – et on peut comprendre pourquoi –, on a pris, dans les plaines du St-Laurent, les terres les plus riches, et on les a drainées. Ce qui fait qu’il pleut une journée et que le lendemain, toute l’eau se trouve déjà dans le fleuve… avec les sédiments, les éléments nutritifs et les engrais. C’est pourquoi on travaille actuellement à trouver une façon de faire en sorte que l’eau percole dans les sols cultivés plutôt que de s’échapper vers la nappe phréatique.

 

La forêt, elle, remplit naturellement cette fonction. Elle agit comme une éponge dès que l’eau atteint le sol. Et quand l’eau passe dans le sol, elle est nettoyée. En Inde, au Rajasthan, j’ai participé à des projets de réhabilitation de bassins de rivières à des endroits où l’on avait énormément déboisé. Résultat : nos travaux ont fait monter la nappe phréatique de 20 mètres en 5 ans. Tout en reboisant et en élevant des barrages intermédiaires, nous érigions des jetées de manière à créer des lacs artificiels dans les rigoles et les petites rivières, afin que l’eau percole dans le sol.

 

Au Canada, on pourrait notamment produire de l’eau potable. C’est une richesse qu’on n’a pas encore exploitée. Et on peut le faire grâce à une utilisation judicieuse de la forêt.

 

Facteur de développement durable

 

Quand les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, la première chose qu’ils ont faite a été de se fabriquer des outils et de construire pour s’abriter. Les gens de métier ont à cette fin utilisé le matériau local : le bois. Il existe encore aujourd’hui des maisons de cette période, et en très bon état. Or, si nous avons réussi à préserver ce patrimoine, c’est que le bois, en plus d’être fonctionnel et nécessaire, est aussi durable.

 

Le développement du Québec est tout d’abord passé par l’aménagement d’installations de transformation primaire du bois. Il s’agissait alors de construire des maisons, des granges, des églises, des charrettes et des instruments aratoires. Tels étaient les besoins de l’époque. Il y avait alors des milliers et des milliers de scieries – au départ installées sur les seigneuries – qui sont devenues autant de petites entreprises et qui, avec les forges et les meuneries, ont été les premières PME. Les communautés se bâtissaient autour des industries de première nécessité et de première commodité.

 

Lorsque les villes ont commencé à croître, il fallait encore du bois pour construire, que ce soit sur le Plateau Mont-Royal ou à Québec. On a du coup développé des techniques de construction très performantes, à ossature légère, qui ont permis d’ériger des immeubles d’un, deux, trois ou quatre étages, en bois, et très durables, si bien qu’ils existent encore aujourd’hui.

 

On est ainsi passé d’une industrie de nécessité à une industrie locale, puis d’exportation. Ces dernières années, 80 % de notre bois a été vendu pour soutenir le marché de la construction de nos voisins américains. Pourquoi ? Parce que nous étions en mesure de produire du bois à partir des arbres de petit diamètre de la forêt boréale. Des recherches ont en effet abouti à des méthodes de transformation permettant de produire des 2 x 3 et des 2 x 4 (en pouces), qui servent de base à la construction à ossature légère.

 

Aujourd’hui

 

Nous avons donné de la valeur à nos forêts. Et nous comprenons maintenant que la forêt a une influence sur le climat et le bilan de carbone, en plus de présenter un intérêt sur le plan des activités récréatives, de la conservation et de la qualité de l’eau. Nous cherchons désormais l’équilibre à réaliser entre exploitation forestière, conservation et récréation.

 

Au Québec, la forêt est en meilleur état qu’elle ne l’a jamais été, parce que nous l’avons exploitée avec modération. Nous bénéficions d’une forêt rajeunie, et donc plus productive, plus biodiversifiée et plus intéressante. La forêt boréale et la forêt mixte ont une capacité de régénération phénoménale. Pour tout dire, le problème n’est pas ici le manque d’arbres, mais plutôt le trop d’arbres.

 

Lorsqu’on coupe une forêt, on déclenche une régénération d’une extrême densité. Les arbres sont longtemps en compétition entre eux, et les dominants finissent par prendre le dessus. On a dénombré de 35 000 à 40 000 plantules à l’hectare, alors qu’on n’a besoin que de 200 arbres à maturité. Il y a là un avantage énorme par rapport au reste de la planète : nous avons un territoire forestier vaste et diversifié, avec beaucoup d’essences qui contribuent à maintenir les sols toujours riches.

 

Compte tenu, entre autres, du climat frais, le sol est couvert d’arbustes en moins de cinq ans après une coupe. Sous les tropiques, la forêt n’accumule pas d’humus. Elle tire beaucoup du sol. Si on arrête l’apport d’humus, le sol s’appauvrit très rapidement, se lessive et forme ce qu’on appelle un horizon induré où il n’y a rien, ou à peu près rien qui pousse. Ici, lorsque la forêt est coupée, il y a dans l’humus, dans la terre noire du sol, des graines qui s’activent. C’est ce qui assure sa biodiversité.

 

Pour nous, le défi n’a jamais été celui de l’aménagement, mais plutôt de l’utilisation du bois. Quand on trouve des applications pour différents diamètres et différentes essences d’arbres, au lieu de travailler contre la nature, on travaille avec la nature. Si nous exploitons la forêt sur cette base, nous n’aurons pas continuellement à sacrifier des terrains ou à tenter de réinstaller des essences qui refusent de s’implanter naturellement. Il s’agit donc de trouver des utilisations au bois qui permettent de tirer profit de toutes les essences, de toutes les qualités et de toutes les parties de l’arbre, et de récolter la matière ligneuse dans une perspective de rendement soutenu permettant à la forêt de se régénérer naturellement.

 

… et demain

Des champignons poussent à travers un lit de mousse sur un arbre coupé en forêt.
Jour et nuit, le cycle de la vie est en action en forêt. Au coeur du bois, la nanocellulose.

 

On se rend compte que l’avenir de l’industrie repose en grande partie sur la valorisation des produits massifs, entre autres les matériaux de construction. Les produits de structure et les produits d’apparence de nouvelle génération vont s’intégrer dans deux modèles d’affaires différents.

 

Le premier est celui du préfabriqué. Dans un futur proche, 90 % des habitations familiales seront préfabriquées, par souci de facilité et de rapidité. Grâce aux nouveaux systèmes informatiques, on peut presque vivre dans sa maison avant de la construire, en choisissant sur ordinateur aussi bien les matériaux à utiliser que le mobilier et les éléments décoratifs. Ce faisant, on ajoute une couche d’ingénierie, et par le fait même, de la valeur.

 

Le deuxième porte sur le marché du non-résidentiel, celui des édifices à bureaux et des bâtiments commerciaux. L’industrie forestière en est venue à le délaisser parce que la demande pour les produits de commodité était jusqu’à récemment très grande. Le modèle d’affaires axé sur ces produits de base était certes le plus alléchant, mais pas celui qui donnait le plus de valeur, ni celui qui générait le plus d’emplois dans le savoir. Or, nous avons maintenant l’exemple de l’édifice du Fonds d’action, à Québec, soit une structure hybride reposant sur un puits en béton alors que tout le reste est en bois – une première en Amérique du Nord. Et depuis, un autre immeuble à ossature légère renforcée – plus haut de deux étages – a été construit à Vancouver.

 

On développe actuellement des produits qui vont permettre de monter les édifices un peu comme on assemble des blocs Lego, aussi rapidement et efficacement qu’en acier et en béton.

 

Pour peu qu’ils soient durables, qu’ils favorisent une économie d’énergie et qu’ils ajoutent de la valeur et du savoir-faire, tout en procurant la chaleur et le plaisir inhérents au bois… je vous laisse imaginer le bonheur !

 

On travaille sur tout : la durabilité, la résistance mécanique et sismique, la tolérance aux vibrations, l’ignifugation, l’insonorisation… On passe à une autre étape de l’histoire. Le Canada est un leader dans ce domaine. Cela s’exprime à travers la recherche – très active – et des technologies d’avant-garde, comme celle des nanocelluloses pour accroître la durabilité du bois et lui donner des propriétés intéressantes.

Le saviez-vous? Depuis la première usine de nanocelllulose cristalline au monde mise en service par Domtar à Windsor, en 2009, recherche et développement se poursuivent. En avril 2023, on célébrait l’installation de production et de commercialisation de filaments de cellulose à l’usine de Kénogami par les Produits forestiers Résolu,… et ça continue.

Gage de prospérité régionale

 

Depuis 25 ans, les industries du bois et des pâtes et papiers travaillent en synergie, parce qu’avec les procédés mis en place, on a pu raffiner des copeaux. Avant, on faisait le papier à partir des meules. Quand on est passé aux copeaux, les matières premières ont commencé à transiter par les scieries avant d’être utilisées par les usines de pâtes et papiers. Les deux industries en sont du coup devenues étroitement liées.

 

L’industrie forestière est depuis toujours – et le restera – très implantée dans les régions pour une raison bien simple : le transport du bois est un facteur important, et c’est toujours dans les régions qu’il est le plus facile de le transformer. Et comme nous donnons de plus en plus de valeur ajoutée à nos produits, l’histoire se poursuit.

 

L’industrie du bois procure du travail à plus d’un quart de million de personnes et représente la deuxième ou la troisième industrie d’exportation. La santé de l’économie repose sur la capacité de développer l’ensemble du territoire, et l’industrie forestière y est pour beaucoup. Saviez-vous, par exemple, que 90 % des routes au Québec ont été construites par l’industrie forestière ? En plus de donner accès aux régions, l’industrie forestière en devient l’épine dorsale, en soutenant les communautés. Il s’agit en outre d’un générateur de valeur qui mobilise d’autres industries, comme celle des transports, ou le secteur bancaire. Tout compte fait, au Québec, ce sont 250 villes et villages qui dépendent essentiellement de l’industrie forestière, sans oublier les sièges sociaux dans les grandes villes !

 

À tout bientôt,

 

Isabelle

 

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Comment le climat sculpte la forêt

 

Le bois de la forêt [9 de 12]
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